Bénéficiant du statut de « pays candidat » depuis 2013, le Sénégal cherche à décrocher le statut de « pays conforme » aux normes Itie. Pour ce faire, le Comité national Itie a lancé, depuis quelques semaines, le processus d’élaboration du rapport de 2014 sur la base duquel la validation de la candidature du Sénégal dépendra. Dans cet entretien, son secrétaire permanent, Cheikh Tidiane Touré, revient sur les enjeux de l’obtention de ce statut. M. Touré y aborde aussi les innovations du Rapport Itie 2014 en cours d’élaboration, la parfaite collaboration notée entre le Comité national et les entités déclarantes et enfin, la vision de l’Itie Sénégal à l’horizon 2020.
Le Comité national Itie est en train de préparer le rapport 2014, quels sont les enseignements tirés de l’expérience de celui de 2013 ?
Le rapport Itie 2013 a été le premier du Sénégal en tant que pays mettant en œuvre cette initiative. Par conséquent, il y a une petite dose d’expérimentation du fait que l’exercice était nouveau pour l’administration et pour les entreprises extractives. Malgré toutes les dispositions prises et les efforts de benchmarking, on a senti que c’était difficile pour beaucoup de produire des informations qu’ils n’avaient pas l’habitude de collecter.
En revanche, le deuxième rapport, celui de 2014, nous permet de capitaliser sur les enseignements et à il y a eu des innovations intéressantes. La première, c’est ce qu’on appelle « Seuil de matérialité ». Dans le rapport Itie précédent, nous n’avions pas une base suffisamment solide pour décider d’exclure certaines compagnies qui étaient titulaires de concessions. Aujourd’hui, les données de l’exercice 2012 et 2013 nous ont montré que certaines compagnies titulaires de concessions ne payaient rien à l’Etat ou avaient une contribution dérisoire. Sur cette base, nous avons défini un seuil des paiements significatifs qui nous permet de se focaliser sur celles qui ont une contribution importante, c’est-à -dire supérieure ou égale à 200 millions de FCfa. Avec un seuil de 200 millions, nous assurons une couverture de 98 % des revenus du secteur. Les 2 % qui concernent les compagnies non assujetties à la déclaration sont tout de même pris en charge dans les déclarations unilatérales des services de l’Etat.
Deuxième innovation, nous avons veillé à produire les garanties nécessaires à la fiabilisation des données produites par les administrations en mettant en contribution la Cour des comptes. Concrètement, cette dernière intervient pour vérifier les déclarations des administrations et confirmer que les paiements reçus par les services collecteurs (direction des Impôts, direction des Mines, Petrosen, etc.) sont transmis au Trésor. Lorsque cet exercice est bien mené, il peut contribuer à réduire les écarts entre ce que l’administration déclare et ce que les entreprises déclarent.
Troisième innovation, c’est la déclaration des paiements en Douane. Dans la répartition des tà¢ches entre les régies chargées de la perception et de la collecte des revenus, la Douane intervient en délivrant des quittances de liquidation qui permettent au contribuable de s’acquitter du paiement au Trésor. Or, le principe de la déclaration Itie voudrait que l’on déclare ce qui est effectivement encaissé par l’Etat. C’est pourquoi, pour l’exercice 2014, la Douane va faire une extraction à partir de son « système Gaà¯ndé » et travailler avec le Trésor qui va confirmer ce qui a été effectivement recouvré. Ceci devrait améliorer la qualité des déclarations pour les paiements en douane. Ces innovations vont nous permettre d’améliorer sensiblement la qualité du rapport Itie 2014.
Contrairement au rapport de 2013, le processus de collecte des données pour l’élaboration de celui de 2014 n’a pas rencontré trop de problèmes. Comment avez-vous fait pour gagner l’adhésion de la quasi-totalité des entités retenues dans le périmètre de déclaration ?
Après la publication du rapport de 2013, le Comité national Itie a organisé une série de rencontres bilatérales avec les entreprises extractives et les services techniques de l’administration pour tirer les enseignements de ce premier exercice, mais aussi pour obtenir des améliorations conséquentes au niveau du remplissage des formulaires de déclaration. L’autre élément est que le rapport Itie 2014 est préparé dans un contexte o๠le pays va postuler à la validation pour obtenir le « statut de pays conforme ».
Nous avons donc beaucoup communiqué sur cet enjeu et les acteurs ont bien compris qu’il s’agit d’une question d’intérêt national.
Cela a beaucoup aidé dans le processus. Nous sommes particulièrement sensibles à l’effort des administrations et des entreprises minières et pétrolières qui ont manifesté de bonnes dispositions pour accompagner le Comité national Itie, et nous les en remercions. Au-delà de cet engagement, nous avons renforcé l’équipe du secrétariat pour améliorer le suivi et nous avons bénéficié d’un excellent soutien de la part des ministères de tutelle, en l’occurrence les départements des Mines, de l’Energie qui font montre d’un leadership exemplaire.
Une entreprise n’a pas encore répondu à l’appel de l’Itie. Qu’est-ce qui explique cette réticence ?
A la date du 22 juillet 2016, une seule entreprise n’avait pas transmis son formulaire. Aujourd’hui, c’est chose faite même si le document n’est pas certifié. En règle générale, il faut considérer que l’Itie agit au nom de l’Etat qui a pris un engagement international. C’est pourquoi, lorsque nous rencontrons des difficultés, nous travaillons avec les ministères de tutelle qui reprennent la demande à leur compte. En cas de refus, le ministère reste le seul apte à en juger ou en tirer les conséquences.
Après la phase de collecte, quelles sont les autres étapes ?
Le consultant a commencé à faire le rapprochement entre ce qui est déclaré par les administrations et ce qui est déclaré par les entreprises. Lorsqu’il constate des écarts, il demande les pièces justificatives et généralement, il y a toujours une partie qui découvre une erreur quelque part et qui procède à la correction. Du côté de l’administration, il y a la Cour des comptes qui poursuit sa vérification qui devrait être finalisée dans une semaine au plus tard. Après cela, le consultant va produire un rapport provisoire avant de soumettre sa version définitive.
Le dépôt du rapport sur la table du Comité international est fixé au mois d’octobre. Pensez-vous être dans les délais ? S’il y a quelque chose qui est bien ancré dans les habitudes de travail du Comité national, c’est la proactivité, c’est l’anticipation. Le Comité national Itie n’a aucun souci avec les délais.
Depuis octobre 2013, le Sénégal a le statut de « pays candidat ». Au regard des efforts, peut-on dire que le processus de validation et d’obtention du statut de « pays-conforme » est bien lancé ?
Absolument ! Le Sénégal a toutes les chances de réussir sa validation. La mise en œuvre de l’Itie a eu un impact important et nous aurons l’occasion d’en parler. Aussi, nous passons beaucoup de temps à faire des auto-évaluations pour corriger et améliorer le niveau d’atteinte des exigences. Nous prévoyons, en septembre, de faire un atelier national de pré-validation qui nous permettra d’impliquer l’ensemble des acteurs pour passer en revue les modules de la validation et nous accorder sur un mécanisme de suivi.
Quels sont les enjeux et l’intérêt d’avoir le statut de « pays-conforme » ?
Avec la validation, le Sénégal consolidera sa position comme une référence en matière de bonne gouvernance parce qu’il faut le dire, à un moment donné, nous avons été devancés sur certaines questions. La deuxième chose, c’est que le statut de « pays conforme » va renforcer la confiance vis-à -vis des investisseurs et des partenaires techniques et financiers. Pour la réussite du Pse et pour l’exploitation pétrolière, cette confiance sera déterminante. Le plus important, ce n’est pas le « label de pays conforme », mais plutôt comment nous faisons pour garantir que l’exploitation minière ou pétrolière profite réellement aux populations. Cela, l’Itie y contribue.
En mars dernier, le Comité national Itie a convié différents acteurs pour réfléchir sur l’élaboration de son plan stratégique quinquennal 2016-2020. Qu’est-ce que les conclusions ont donné ?
Le sens de la planification stratégique est de démontrer qu’il y a une vision claire à moyen et long termes qui sous-tend le travail que nous faisons. C’est aussi une manière pour l’Itie de redéfinir ses priorités dans un contexte o๠l’exploitation du gaz et du pétrole va jouer un rôle plus important dans l’économie du pays. Les réflexions qui ont beaucoup retenu notre attention, au-delà des questions de capacité nationale, c’est comment faire en sorte que les rapports Itie puissent aider à mieux planifier les réformes et améliorer la gouvernance. Nous allons organiser une table ronde avec les bailleurs pour présenter le nouveau plan et solliciter leur accompagnement pour les cinq prochaines années.
Avec Le Soleil