L’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) vise à renforcer, dans les pays riches en ressources pétrolières, gazières et minières, la bonne gouvernance des revenus publics issus de leur extraction. Le Sénégal a demandé et obtenu, en octobre 2013, le statut de pays candidat à l’Itie. Depuis lors, notre pays a entrepris la mise en œuvre de l’Itie par des activités visant à renforcer la transparence dans ce secteur. Le Sénégal a publié son deuxième rapport couvrant la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2014 qui fera l’objet d’une présentation officielle, aujourd’hui, au cours d’une cérémonie présidée par le Premier Mouhammad Boun Abdallah Dionne. Le président du Comité Itie Sénégal, le Pr Ismaà«la Madior Fall revient, dans cet entretien, sur les résultats de ce rapport sur la base duquel le Sénégal devra soumettre sa candidature pour l’obtention du statut de « pays-conforme ».
Le Sénégal vient de publier son deuxième Rapport Itie portant sur l’exercice fiscal 2014. Quels sont les principaux résultats ?
Le rapport Itie a pour but de renforcer la connaissance et la compréhension des questions relatives au secteur extractif et du niveau des contributions dudit secteur au développement économique et social du Sénégal, en vue d’améliorer sa bonne gouvernance. Ce document fournit aux citoyens des informations essentielles sur les procédures d’octroi des permis et des contrats miniers et pétroliers et clarifie le rôle de l’Etat dans le secteur extractif et sa relation avec les entreprises d’Etat et privées. Il fait également la lumière sur les appuis institutionnels, les dépenses sociales des entreprises et donne une idée sur la production des minerais et le volume des exportations. Le rapport présente d’autres informations relatives aux conditions de transfert et de cession des titres miniers et pétroliers, des informations sur le registre pétrolier et le cadastre minier, la propriété réelle des entreprises, etc., sur toute la chaîne de valeur de l’industrie extractive. Le rapport Itie révèle que les revenus générés par le secteur extractif ont substantiellement augmenté, passant de 46 milliards en 2013 à 117 milliards de FCfa en 2014 dont 109 milliards de FCfa versés dans le budget de l’Etat. Cette évolution de la contribution du secteur extractif illustre parfaitement la vision de la gouvernance et les réformes que le président Macky Sall a soutenues et continue de nourrir pour le pays dans ce domaine. Cette augmentation s’amplifiera sans nul doute avec les perspectives de développement du secteur minier et de l’exploitation prochaine des hydrocarbures.
Comment expliquez-vous cette importante hausse, en une année, de la contribution du secteur ?
Il y a une explication conjoncturelle liée au paiement de plus de 49 milliards de FCfa à l’Etat du Sénégal par Arcelor Mittal suite à la résolution arbitrale d’un litige entre cette compagnie et notre pays. Il y a aussi une explication structurelle liée à la dynamique du développement du secteur. Cette hausse de la contribution du secteur extractif à l’économie sénégalaise s’explique par le démarrage de deux nouveaux projets (cimenterie Dangote et l’exploitation des minéraux lourds par Gco à Diogo). Dans le secteur des hydrocarbures, l’utilisation de prestataires pour les forages pétroliers par Capricorn a généré des recettes au titre du Bénéfice non commercial (Bnc). Dans le secteur minier, la contribution provient essentiellement, en dehors des revenus exceptionnels de Arcelor Mittal, de la collecte des flux tels que la Tva reversée à la Dgid, la redevance minière, les Retenues à la source (Ras), les taxes douanières, les redressements fiscaux, la Contribution spéciale sur les produits des mines et des carrières (Csmc)… Et en ce qui concerne le secteur des hydrocarbures, la contribution provient essentiellement des retenues à la source sur bénéfice non commercial (perçues de Capricorn Sénégal), des revenus issus de la commercialisation des parts de production de l’Etat et de Petrosen (Profit Oil) et de divers flux. Outre cette contribution financière, il ne faut pas oublier les emplois directs (plus de 6.000) et indirects créés par le secteur, le transfert de technologie…
Quels sont les minerais qui rapportent le plus à l’économie nationale ?
Pendant longtemps, on a parlé de Kédougou comme première région minière, mais en fait, le rapport Itie 2014 révèle que les principaux contributeurs aux revenus du secteur minier en 2014 sont basés respectivement dans les régions de Dakar, Thiès et Kédougou. La répartition des revenus par minerai a permis de voir que le calcaire (matière première des cimenteries notamment) constitue la substance ayant généré le plus de revenus (32,2 milliards FCfa), suivi de l’or (12,9 milliards), les basaltes et autres minerais (4,2 milliards) et le zircon-Ilménite (2,6 milliards). Toutes ces informations sont disponibles sur le site du Comité national Itie.
Le premier Rapport de l’Itie 2013 publié en octobre 2015, avait fait état de quelques faiblesses liées à la certification et à l’exhaustivité des données. A la lecture du Rapport 2014, il en ressort des progrès. Comment y êtes-vous parvenus ?
Entre le premier rapport de 2013 et celui de 2014, il y a un progrès qualitatif remarquable. L’équation de l’exhaustivité et de la fiabilité des déclarations est résolue et les données contextuelles sont mieux présentées. Le rapport Itie 2013 a été le premier rapport du Sénégal en tant que pays mettant en œuvre l’Itie. La nouveauté de l’exercice au Sénégal faisait que l’administration et les entreprises extractives avaient éprouvé des difficultés pour traiter des informations qu’elles n’avaient pas l’habitude de collecter ou de produire. Il fallait que le Comité national travaille avec les acteurs publics et privés pour bà¢tir un environnement plus apte à produire la matière première de qualité devant alimenter le contenu du rapport Itie.
Ainsi, une série de rencontres bilatérales a été tenue avec les entreprises minières, pétrolières et gazières et les services techniques de l’administration, pour tirer les enseignements de ce premier exercice, mais aussi pour obtenir des améliorations conséquentes dans le remplissage des formulaires de déclaration pour le rapport de 2014. Pour ce présent rapport, sur les 17 entreprises minières et 8 entreprises du secteur des hydrocarbures, 1 seule ne s’est pas conformée à l’exigence de certification, contrairement à l’exercice 2013 o๠la participation et la certification étaient un défi. Dans les administrations, les formulaires dûment signés par les directeurs ont été transmis à la Cour des comptes. Un tel engagement n’est possible que lorsque les acteurs sont convaincus de l’importance et de la finalité de leur engagement. La même détermination a poussé le secteur privé, notamment les entreprises minières, à soutenir la transparence des contrats suite à une initiative de consultation de l’Etat. En cela, le rapport Itie de 2014 n’est pas simplement un rapport ; il a pu sanctionner un processus, stimuler la prise de décision et catalyser des réformes. Le pays a accompli, en deux exercices (rapports 2013 et 2014), des efforts significatifs dans la marche vers la transparence optimale de la gestion des ressources naturelles.
Quels peuvent être les impacts de ce rapport Itie sur la gouvernance du secteur extractif au Sénégal ?
Le rapport Itie est produit pour les citoyens. Il permet de doter l’Etat d’un document de référence complet sur la gouvernance du secteur extractif. Il est aussi, pour le gouvernement, un levier de réforme et de transformation qualitative de la gestion du secteur pour qu’il contribue davantage à l’économie nationale. Avec ce rapport, les fonctionnaires des ministères des Finances, des Mines, des Hydrocarbures, de l’Environnement, peuvent mieux organiser leurs systèmes d’informations pour fournir, à la première demande, des données relatives à leur secteur. En outre, ils seront mieux informés sur ce qui se passe dans leur secteur et donc mieux « armés » pour surveiller les opérations minières et pétrolières et augmenter la part de l’Etat dans le partage de la rente. L’accès à l’information, par exemple, devient une réalité. Il faut noter qu’au-delà des rapports Itie, les autorités travaillent à institutionnaliser des pratiques telles que la publication de rapports annuels, la publication systématique des extraits de cadastre et des contrats. Le rapport permet aux compagnies engagées dans le pays d’avoir, pour mieux se positionner dans le respect de la concurrence, une vue globale des facteurs et des acteurs de l’industrie extractive nationale.
A la société civile dont la contribution au processus est à saluer, le rapport fournit les éléments d’une observation qualitativement critique des pratiques du milieu et d’un plaidoyer mieux argumenté. Au-delà de ces parties prenantes de premier plan, le vrai destinataire du rapport Itie demeure la population sénégalaise. C’est pourquoi, le rapport sera disponible sous des formats accessibles au grand public pour assurer sa vulgarisation. Il y a lieu de relever le progrès accompli en publication des contrats miniers et pétroliers. En conjuguant les possibilités offertes par la loi (Code pétrolier et Code de transparence) et la coopération des opérateurs miniers qui ont, sur le plaidoyer du ministre en charge des Mines, librement consenti à la publication de leurs contrats, le Sénégal fait maintenant partie du cercle restreint des pays qui divulguent la totalité de leurs conventions minières et pétrolières.
Le Rapport Itie 2014 est publié dans un contexte de polémiques, de rumeurs et d’accusation de malversations sur la gouvernance du secteur extractif au Sénégal. L’affaire des conditions de cession de blocs à Petro Tim à Timis Corporation a fini de faire couler beaucoup d’encre. Lors de la conférence de presse organisée par le Comité, vous avez préconisé la clarification du Code pétrolier sur les transferts pour plus de transparence. Cela est-il nécessaire ? Il est heureux de constater que c’est avec l’avènement de cette initiative au Sénégal qu’on commence à avoir un dialogue de ce niveau et que les acteurs disposent d’informations qui leur permettent d’interpeller l’autorité. Cela permet, dans un sens, de faire progresser les choses en la matière. Sous ce rapport, le Comité Itie est un outil pour tous. Il devrait être protégé et renforcé pour qu’il demeure autonome et crédible. Le rapport Itie a retracé les paiements effectués par la Société Petro Tim en 2014 dont le cumul s’élève à 90.825.305 FCfa, au titre du loyer superficiaire, des retenues à la source, etc. Mais au regard de la polémique que cette affaire Petro Tim et Timis a suscité et puisque le Sénégal va passer dans une phase d’exploitation, il est important que les instruments qui régissent la réglementation procèdent à un meilleur encadrement, entre autres, de tout ce qui est transfert et cession. Les textes ne sont pas toujours très clairs et font l’objet de diverses interprétations dont on peut faire l’économie. Le Code pétrolier de 1998 privilégiait la promotion du bassin sédimentaire sénégalais.
D’o๠sa flexibilité dans la réglementation des opérations et par rapport aux opérateurs. Aujourd’hui que des réserves dont l’exploitation est commercialement rentable, il faut, sur le plan juridique, un Code plus exigeant dans l’attribution des titres, de l’exercice des droits de préemption, dans l’évaluation des capacités techniques et financières des opérateurs. Il faut améliorer le dispositif fiscal d’encadrement de la cession des titres -dès lors qu’il ne porte pas sur des engagements de travaux- déjà prévu par le Code général des impôts et domaines.
Le président Macky Sall le dit bien dans la préface du rapport : « Une réévaluation des procédures d’octroi et de renouvellement des titres ainsi qu’un meilleur encadrement des opérations de cessions-transferts à la lumière des bonnes pratiques internationales seront nécessaires ». Sur le plan institutionnel, il faut plus de régulation dans le secteur, un recentrage de la mission de Petrosen dans ce qu’elle est le mieux placé à faire et un renforcement significatif des moyens d’intervention du ministère en charge du secteur. L’administration en charge du secteur (la direction des hydrocarbures) doit être renforcée pour bien suivre les opérations. C’est connu dans le secteur pétrolier : il faut une bonne loi pétrolière, de bons contrats et une bonne administration pour surveiller les opérations au profit de l’Etat. Toutes ces questions que devra prendre en charge la structure récemment mise sur pied par le président qu’est le Cos Gaz-Pétrole.
Le processus Itie du Sénégal est arrivé à maturité et vous devez bientôt passer la validation. Quelles sont les chances du pays d’être déclaré conforme ?
Le Conseil d’administration de l’Itie a approuvé, à la conférence de Lima de 2015, une version de la Norme qui modifie le système d’évaluation dans l’Itie. On est passé d’un système binaire dans lequel vous n’aviez que deux options : conforme ou non conforme avec des risques de suspension et de radiation dans le second cas, à un système plus ouvert qui apprécie le niveau de progrès réalisé dans la promotion de la transparence. Les gens se sont rendu compte que le but de l’Itie n’est pas de sanctionner ou d’humilier les Etats mais plutôt de les aider à faire des progrès dans le domaine de la gouvernance des ressources naturelles. C’est pourquoi, dans le système actuel, on parle de moins en moins de conformité. Le Sénégal a toutes les chances de réussir sa validation. La mise en œuvre de l’Itie a eu un impact significatif dans le pays que nous nous évertuons à documenter. En outre, nous passons beaucoup de temps à faire des auto-évaluations pour corriger et améliorer le niveau d’atteinte des exigences. Nous avons tenu un atelier national de pré-validation qui a impliqué l’ensemble des acteurs pour passer en revue les modules de la validation et nous accorder sur un mécanisme de suivi. C’est le lieu de dédramatiser le débat en cours sur les ressources pétrolières et gazières. Le Sénégal, vieille démocratie, est habituée au débat contradictoire mais apaisé, comme le montre celui en cours sur les ressources pétrolières et gazières (o๠l’opposition accuse, le gouvernement clarifie avec beaucoup de pédagogie), on peut, en toute sérénité, envisager la validation.
Propos recueillis par : Elhadji Ibrahima THIAM